D’entrée de jeu, nous
avons remarqué la difficulté de cerner le sens du mot valeur, et insisté sur
l’importance, dans le cadre d’analyse des architectures de valeur, de la
logique de transformation. En effet celle-ci est beaucoup plus objective que la
« valeur » elle-même.
Il existe en effet des éléments
objectifs et durables :
·
Les événements qui jalonnent l’évolution,
moteur de la transformation : le parcours du passager, l’usure d’une
machine, l’arrivée d’unités d’œuvre à traiter, l’occurrence d’un sinistre,
l’émergence d’un besoin, la mise en application d’une réglementation, la
diffusion d’une technologie, l’invention d’une molécule, l’incident de
circulation,… Ces événements sont assemblés en cycles ou parcours.
·
Les produits, services, fonctions automatisées
qui contribuent à la réponse à ces événements, et objectivent la
transformation. On notera à ce sujet que l’objet ou l’entité, voire le concept,
transformés sont de toute nature, selon les azimuts des chaînes de valeur. Par
exemple un client dont on satisfait le besoin, un étudiant qui reçoit une
formation, un passager transporté, …en sont « transformés » ! De
même des équipements assemblés en un véhicule le sont,… Ou une loi qui de
projet devient, après amendements, loi votée, l’est aussi.
·
Nous avons vu
que ces transformations, dans un univers de valeur, étaient réalisées par segments,
« maillons » de la chaîne, qui sont les différents services ou produits intermédiaires associés
pour délivrer le produit ou le service final. Cette association peut prendre la
forme d’un flux à étapes successives, mais elle est aussi de plus en plus
synchrone, en particulier avec l’aide de la technologie qui autorise toujours
plus d’immédiateté (par des « architectures de services »
synchrones). L’ingénierie de la chaîne de valeur fait apparaître ces
maillons et l’architecture qui les
relie. Elle explicite un autre élément objectif fondamental est à prendre en
compte : le contrat de transaction
entre ces différents maillons de la chaîne de valeur. Ce sera par exemple le contrat
avec un sous-traitant, avec un centre de services partagé, etc… Les indicateurs
qualité, les KPI, pourront ainsi être propagés tout le long de la chaîne de
valeur.
A l’opposé, concernant la
valeur, au sens quasi monétaire du terme, la variabilité est forte car la
valeur résulte d’un équilibre, qui
peut à tout moment changer.
La « mécanique » que nous avons
décrite est mise en œuvre lors des échanges : c’est alors qu’apparaît la
valeur, comme nous l’enseigne clairement Bastiat (De la valeur). La formation de la valeur est modélisée par la micro-économie,
qui explique la confrontation de l’offre et de la demande, les notions d’utilité
(le point de vue de l’acheteur), de fonction de production, etc…
Lors du biorythme nominal
de l’échange, celui des cycles et parcours, il existe des paramètres de marché
qui déterminent cet équilibre, et le prix de la transaction unitaire induit.
Mais à une autre échelle et dans un pas de temps différent, des évolutions majeures
peuvent se produire dans l’environnement commercial, technologique,
réglementaire… et impacter les termes de l’échange, rendant les produits ou
services démodés, obsolètes, inadaptés, déclassés, … alors que de nouveaux
besoins, de nouvelles exigences émergent. La fonction de production peut aussi
être modifiée par les coûts d’achat, les frais de main d’œuvre, le cours des
matières premières, dans un contexte de concurrence élargie. Ces évolutions changent l’équilibre de l’échange, et
le prix pratiqué : même si toute la mécanique de la chaîne de valeur est
en état de marche, la transformation est progressivement remise en cause. Il en
ira de même pour les services non marchand, qui, bien que n’ayant pas de prix
direct, ont un prix indirect de par impôts, subventions, cotisations, voire investissement
personnel de bénévoles…
Ces mouvements généraux,
mouvements de marché (mondialisation, désindustrialisation, montée en puissance
des services, réglementation et déréglementation, financiarisation,
numérisation, …), sont généralement constatés. Ce sont des faits. Le défi pour
les Entreprises et Organisations est bien sûr de maintenir un cap et d’évoluer
pour garder sa place, éventuellement conquérir de nouvelles places. Ces
mouvements de fond sont autant des opportunités que des menaces. Par exemple
les barrières à l’entrée sur un nouveau marché sont en général faibles, puis deviennent
trop importantes pour un nouvel entrant à faible assiette financière. De même
les barrières à la sortie peuvent être décourageantes. En outre, au point où en
est notre civilisation, l’économie de l’information, et son rendement d’échelle
caractéristique, exacerbent la récompense, ou la punition !
Ce sont là évidences, qu’il
faut dépasser pour mettre en pratique.
Face à ces
bouleversements, quels chemins peut prendre l’Entreprise ou
l’Organisation ?
La question posée a, pour
partie, une réponse simple : le terrain
des affrontements est connu, il est décrit en grandes mailles par la
cartographie de l’architecture de valeur. Le stratège qui mène ses troupes a
donc à sa disposition la carte du champ de bataille, objective, neutre, non
valorisée. Il connait ses positions. Il lui faut prévoir les évolutions
contextuelles dont nous avons parlé.
Le repérage logique et
objectif obtenu grâce à l’architecture de valeur est alors précieux, car il offre
un cadre d’analyse pour :
·
anticiper les
évolutions de structure : apparition de nouveaux univers fondés sur des cycles qui émergent, comme par
exemple le monde du collaboratif 2.0, des produits innovants, la connaissance
plus intime d’événements jusqu’à présent cachés,…
·
objectiver, à
structure de chaîne de valeur identique, les changements de paramètres revenu, coût,
impact sociétal,…), et visualiser la déformation
des territoires, par exemple par des cartes en anamorphose (voir ci contre la carte de la France déformée par les performances du
TGV).
Ce damier d’analyse
confortera les approches classiques qui pourront nourrir la réflexion,
quantifier les potentiels de marché sur chacun des territoires identifiés, imaginer
la « capture de valeur », et les « océans
bleus ». Puis il faudra se mettre en mouvement.
Les questions sont
multiples : Quel « détour productif » faire ? Pour quelle
cible ? Sur la base de quelles technologies ? A quelle
échéance ? Avec quels investissements ?
Car les chemins pour
conserver, capter, découvrir … de la valeur, peuvent aller en toute direction,
dans tous les azimuts de la chaîne de valeur. Une réponse « passe
partout » est de préconiser l’agilité. Mais, si on est agile, sait-on pour
autant quelle « guerre éclair » mener ? Quelle manœuvre d’anticipation engager si l’on
n’a pas à la base la cartographie des territoires des chaînes de valeur,
d’aujourd’hui et de demain ?
Ici se termine le
plaidoyer pour la cartographie des chaînes de valeur. Nous reprendrons ce sujet
sous l’angle des types de mouvements envisageables, pour atteindre des océans que
chaque grand manœuvrier voudrait les plus « bleus » possibles.
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