Architecture d'Entreprise : le déclin ou le renouveau ?
Une approche traditionnelle lourdement méthodologique
Traditionnellement l'Architecture d'Entreprise fonde sa vision sur une superposition de couches ou niveaux qui représentent chacune un monde de moyens au service du niveau supérieur.
Les interactions entre les niveaux vont de haut en bas, pour satisfaire les finalités business, déclinées en processus, puis en besoins fonctionnels, en SI, et enfin en architectures techniques. Ces interactions sont aussi remontantes, l'offre technologique influant les capacités de l'entreprise, et finalement son efficacité opérationnelle comme son positionnement stratégique.
Chaque niveau est organisé selon des modèles qui lui sont typiques : modèles de processus, d'informations, d'architecture technique, mais aussi modèles business (BRM : Business Reference Model).
Dont on trouve de multiples variantes, dont celle élaborée par le Club Urba-EA depuis le début de ce siècle :
Ces visions répondaient aux défis de :
- maîtriser des développements informatiques de plus en plus étendus, aboutissant à des juxtapositions de systèmes imbriqués, redondants,
- limiter la complexité et la rigidité d'un système d'interfaces figés et lourds, issus de projets gigantesques,
- ainsi mieux aligner les investissements et le patrimoine SI sur les contraintes et la stratégie Business.
La décomposition en couches rend autonomes les différentes visions, objectivées par des modèles et cartographies, et de planifications destinées à réduire les incohérences et aléas.
Ces approches fondent les métiers de l'Architecte d'Entreprise, qui dispose ainsi d'un corpus méthodologique, et d'outils de cartographie pour représenter un existant, une cible, une évolution progressive du patrimoine.
Les marchés des méthodologies de l'EA est international, et dominé par des "frameworks" issus des travaux des organismes gouvernementaux américains, en particulier le Togaf, commercialisé par l'Open Group. En France les Administrations et collectivités publiques doivent se conformer au CCU (Cadre Commun d'Urbanisation du SI de l'Etat). Ces méthodologies sont ambitieuses, mais très lourdes à mettre en oeuvre, par exemple la documentation de Togaf s'étend sur des milliers de pages, le CCU comporte 26 règles fondamentales réparties entre les niveaux.
Dans une approche plus pragmatique, le Club Urba-EA ne prend le parti d'aucune méthodologie, et se focalise sur les retours d'expérience de ses membres. Il édite simplement un guide des activités d'architecture d'entreprise (disponible sur le site du Club). Ce guide fait clairement apparaître les activités sur les "fondations" du SI, cœur de métier de l'Architecture d'Entreprise.
A notre époque où tous les changements s'accélèrent, comment ce cœur de métier, objet de toutes les séductions méthodologiques, va-t-il évoluer ? Quel est le futur de l'EA ?
Une double rupture
La fonction d'Architecture d'Entreprise, telle que décrite ci-dessus, est une fonction charnière entre le Business, d'une part, et le l'IT, d'autre part. Elle peut se conforter sur son positionnement historique : le conservatisme naturel tend à perpétuer méthodes, formations, certifications, qualifications. Par le passé, les évolutions des méthodes de la sphère IT ont été lentes, ce qui permettait une appropriation naturelle par les Ecoles, les Institutions, et, bien sûr, les entreprises utilisatrices. Les Architectes d'Entreprises étaient friands de congrès, d’exégèse sur les frameworks, de versions nouvelles épaississant encore la doctrine.
Mais le futur de l'EA ne peut être le simple prolongement tranquille des quelques décennies passées.
Une double rupture déstabilise les 2 volets que l'EA doit associer :
- Le Business a toujours évolué. Cependant la mondialisation, la dématérialisation, et d'autres facteurs de fond précipitent le mouvement dans une course. En somme, la technologie déstructure les chaînes de valeur des industries de service, des services publics, et impacte jusqu'aux process industriels. Cette rupture numérique emprunte des chemins dématérialisés, avec des temps de diffusion par cycles courts, un pas accéléré.
- La technologie est aussi en totale révolution : Le Cloud, l'Open Source, les techniques de Big Data, et tout un nouvel écosystème, rongent les positions acquises des acteurs classiques du SI, et apportent de nouvelles offres compétitives, dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences.
Obsolescence de l'EA traditionnelle
Face à cette nouvelle donne, l'EA ne peut plus se contenter de prescriptions, et de souhaits parfois incantatoires. La réponse ne peut venir des bonnes vieilles recettes, menacées d’obsolescence.
- temps de cycles d'évolutions des fondations de l'architecture inadapté, par exemple l'ADM de Togaf convient typiquement à un développement de projet classique non incrémental et lourd,
- complexité de l'intégration des couches, en particulier pour les fondations de l'architecture, rendant la mise en oeuvre concrète tributaire des projets et aléas de court terme, et de l'adhésion à la théorie de l'EA,
- gouvernance étendue à un périmètre gigantesque créant de multiples confrontations idéologiques, et méthodologiques, sans grand intérêt pratique, délaissant l'essentiel pour l'accessoire,
- ignorance des avancées technologiques et des flexibilités apparues, rendant illusoires les prérequis, l'ingénierie des exigences, les spécifications passéistes,
- dérive générale de la complexité, avec une nouvelle boîte de Pandore technologique (Data Lake, In memory, ...) et des chapelles de spécialistes (data scientists, ...)
En effet, les fondamentaux techniques sont ébranlés, voire radicalement remis en cause.
Les anciennes pratiques, la construction d'applications complexes, imbriquées, intégrées autour d'interfaces rigides, capitalisant sur des modèles de données extensifs, n'ont plus de raison de perdurer. Les bases actuelles permettent de se libérer des contingences d'échange de données, de modélisation, des prérequis méthodologiques, ... Un monde merveilleux où l'agilité serait de mise, la flexibilité congénitale, les architectures virtualisées, les centres de production dissous dans le Cloud...Un nouveau défi pour l'EA
Avec ces ruptures, et l'accélération, le besoin de synchroniser les cycles du Business, et ceux des technologies se renforce et se diffuse dans une économie de plus en plus numérique.
C'est un nouveau défi, majeur pour l'Architecture d'Entreprise.
En effet, si on laisse la dynamique des projets, le court-termisme, s'exercer en dehors de toute contrainte, le résultat sera une Architecture induite, involontaire. L'Architecture globale, celle de l'Entreprise, ou de son Écosystème, sera-t-elle radieuse ?
L'association anarchique d'une population de micro-services ne produira, pas plus que par le passé, un ordre optimal et adapté aux enjeux du futur de l'Entreprise. La vision angélique d'un miracle technologique serait utopique, car le désordre est la résultante naturelle d'initiatives non coordonnées. Simplement, les rigidités du passé seront aplanies, et de nouveaux sujets apparaîtront....Il y aura moins de plats de spaghettis,... mais en multipliant les APIs tout azimuts, de beaux plats d'APIs seront au rendez-vous.
La cohérence, la synergie d'architecture globale, demeure donc un thème majeur, même si les icônes classiques sont à placer au placard des curiosités.
Face à ce défi, l'EA se doit de répondre. Sinon, perdant toute crédibilité, il programmera sa propre fin.
Émergence des architectures flexibles
Le software mange le monde ... il n'a pas dit son dernier mot... les avancées technologiques actuelles permettent d'augurer l'émergence d'architectures "flexibles" qui permettront la synchronisation entre le Business et l'IT, justification éternelle de l'EA.
Plutôt que de compter sur une méthodologie, que d'édicter des règles et prescriptions, que de modéliser couches et couches dans une complexité extensive qui rend ces exercices de plus en plus vains,....
Il s'agit de créer concrètement les bases de partage et de cohérences entre des territoires de Business et de SI, autonomes et interdépendants. En somme d'organiser techniquement et pratiquement la cohérence et la subsidiarité. Et de laisser vivre ces SI avec un minimum de contrainte sur leurs seuls points de partage.
Pour le dire de façon plus savante, il s'agit d' un nouveau paradigme de conception où, pour les fondements du SI évoqués ci-dessus, ceux pointés par le Club Urba-EA, en intégrant les "couches" :
- on se focalise sur l'essentiel, l'invariant,
- on organise la subsidiarité.
Ce schéma de conception, guidé par les chaînes de valeur (voir l'approche "Trame Business") peut alors s'appliquer de façon récursive dans toutes les profondeurs de ces subsidiarités, dans des fractales échappant ainsi aux affres d'une gouvernance centrale totalitaire.
Les pièces techniques du puzzle qui permettent la conception de telles architectures sont à notre disposition :
- issues des nouvelles avancées (approche NoSQL, données non modélisées dans la Data Lake, écosystème Hadoop, ...)
- mais aussi celles de l'ancien monde et de ses outils (UML, bases SQL, ESB, XML et autres).
Une rupture vitale pour l'EA
Il s'agit, si on s'autorise un peu de recul, d'une rupture vitale pour l'EA, qui trouve enfin l'outil à la mesure de ses ambitions, en pouvant concevoir un dispositif à mise en oeuvre directe, plutôt que d'incanter, préconiser, et, au mieux, s'épuiser dans les instances de gouvernance.
Car, il ne faudrait pas croire que l'outil de l'architecture flexible efface tous les problèmes ! Il faudra le concevoir, le faire évoluer,.... Et il faudra surtout convaincre !
Ce dernier point, convaincre, est le plus aléatoire, car l'ensemble des acteurs sont formatés selon les schémas classiques, et développent, face à l'initiative, scepticisme, et, à la limite sarcasme.
Mais si l'EA ne fait pas sa révolution, ce sont les acteurs techniques qui trouveront le chemin de la flexibilité, et les doctrines de l'EA tomberont dans l'oubli.
Je pense avoir touché ce problème il y a une dizaine d'années, et je pense y avoir apporté une solution dans laquelle le SI n'est pas réduit à l'IT (IT=Infra+App+Data) mais contient aussi le Métier (Métier=Org+Proc+Info) et surtout est à la fois la base mais aussi la cible de la Gouvernance de la Transformation d'Entreprise (GTE). Dans la GTE, on formalise la stratégie d'entreprise et on la rapproche des capacités de l'entreprise qui sont nécessaires pour réaliser ces stratégies, qu'elles soient existantes (tel quel ou avec évolution) ou qu'elles soient à créer ou acquérir. Ces capacités deviennent donc la pierre angulaire de l'EA puisqu'elles font le lien réel entre le monde des "espoirs" et le monde réel formalisé en EA (les capacités sont instrumentés par les moyens que formalise l'EA. De plus, la déclinaison de la transformation en initiatives et en projets se fait naturellement par l'analyse et l'agencement des capacités.
RépondreSupprimerJe ne pense pas qu'il y ait révolution dans mes propos, mais seulement un changement de point de vue : ne pas se concentrer uniquement sur les moyens (car alors l'EA n'est qu'une affaire de technicien) mais les mettre en perspective et les gérer au travers des capacités qui les requièrent.
Alors, les métiers qui concourent à la transformation continue et au fonctionnement optimal de l'entreprise collaborent effectivement et efficacement dans ce meta modèle de l'EA étendue à la formalisation stratégique et à l'analyse et la gestion des capacités d'entreprise.
Ces principes que nous avions abordés assez tôt (2000) et que nous avons étendus en 2004 (comme je l'indique ci-dessus) on permis de passer sans encombre l'étape de la mise en oeuvre des SOA, puis d'accompagner la vague des big-data et du cloud sans effort excessif.
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