Se créent ainsi des espaces d'activité, de vie, de santé, connectés, qui étaient inimaginables avant cette rupture technologique. Ce monde du connecté donne l'exemple d'un fonctionnement plus direct, immédiat.
L'organisation traditionnelle, avec ses agences physiques, ses guichets, réels ou virtuels, ses formulaires, matérialisés ou dématérialisés, ses processus, doit se remettre en cause, se donner une perspective, avec ces exemples qui se multiplient dans tous les espaces de vie.
Une organisation héritée des contraintes matérielles
Avant l’ubiquité de l'internet, avant l'intimité et l'immédiateté du connecté, les contraintes matérielles étaient multiples :
- espace physique, imposant aux clients, aux administrés, de se déplacer, aux grandes entreprise et administrations de créer des agences locales
- supports de communication pauvres, souvent réduits au papier pour la formalisation des transactions (achats, traces d'activité, d'événements de santé, d'état civil, ...)
- délais de traitement importants et nécessité de concentrer en masse pour industrialiser la production matérielle, et et les services dans les premiers temps de la mécanisation (mécanographie, informatique de production,...).
Bref un monde où règnent les sacro-saints formulaires. Un monde atteint d'une lourde pathologie de division de l'économie en grandes structures spécialisées, centralisées, elles mêmes organisées en silos pour maîtriser la compétence et jouer les rendements d'échelle.
Bien sûr, la civilisation, qui est en train de s'achever à petits pas, a mis des siècles à évoluer, à se perfectionner, au gré des conflits, et des accidents de parcours. Elle à créé des systèmes d'information gigantesques, une organisation sociale, et de multiples protections.
Bien sûr, elle perdure dans des métiers, même si certains sont ubérisés ou pourront l'être, elle perdure dans une réglementation pléthorique et souvent ubuesque, dans les structures mentales, les enseignements, et bien d'autres stéréotypes.
Elle perdure aussi dans les démocraties actuelles qui ont peu prise sur ce monde connecté émergeant, trans-national, parfois immoral et déréglementé : leur réponse est souvent d'arrière garde, au mieux marginale, et parfois dérisoire face aux enjeux géopolitiques.
Les fondements du monde ultra connecté
La révolution en cours nous amène à des organisations de la société radicalement différentes, dont il est difficile de prévoir toutes les configurations.
Cependant, en faisant abstraction de l'histoire et de ses pesanteurs, on fait apparaître un fonctionnement "nominal" d'une telle civilisation :
La "vie" des personnes, des acteurs économiques, des institutions, des objets, des écosystèmes, est rythmée par des événements, c'est une loi universelle. Dans un monde connecté :
- la préhension de l'événement se fait au plus près, sans détour, capté par une intelligence connectée
- cette préhension est immédiate
- elle déclenche une chaîne de valeur automatique, qui, grâce aux API et aux multiples recompositions des acteurs économiques, collaboratifs, administratifs, et des systèmes techniques,... se propage pour le meilleur et, peut-être, pour le pire.
Ce modèle est celui de la "Trame Business" (que j'ai pu définir il y a une décennie). Il est fondé sur les événements, les cycles, les parcours, et leurs invariants. Il fournit la vision la plus stable possible, résistant aux évolutions de SI, aux ruptures business, aux changements de modèle, traversant les révolutions technologiques, les refontes de processus, et les reconfigurations économiques (désintermédiation, globalisation, ...).
Bien sûr, le rêve d'un monde ultra connecté, simple et efficace, peut paraître lointain, Mais les pièces du puzzle se mettent en place, on en voit des exemples tous les jours. La pression d'une économie globalisée, l'accélération de la créativité, le darwinisme qui en découle, la super puissance des GAFA, l'extension du monde du logiciel libre : la dynamique est en route, le cycle historique est engagé.
L'hybridation des 2 mondes
Un tel bouleversement ne se fera en un jour. Il atteint d'abord certains secteurs économiques, certaines chaînes de valeur facilement uberisées par les circuits courts de la communication connectée.
En quelque sorte une révolution à ciel ouvert, exploitant les nouveaux gisements de valeur révélés par la banalisation technologique, avec des investissements faibles, et des coûts récurrents dérisoires. Car l'infrastructure est devenue une sorte de "service public" globalisé, financé par ailleurs.
Les différentes vagues de révolution technologique exposent ainsi de nouveaux gisements à ciel ouvert. Par exemple ceux qui apparaîtront avec la blockchain, pour créer de multiples formes de notariat.
Mais à coté de ces nouveaux territoires, les répartitions entre acteurs économiques vont bouger, prolongeant des mouvements déjà engagés, par exemple dans la mobilité, ou encore dans le monde de la santé. Les grands secteurs économiques entrent alors dans la dance, et les plus solides tremblent sur leurs bases... craignant de subir le sort de Kodak.
Quel est l'intérêt "supérieur" des Etats, des collectivités, par delà ces secousses telluriques ? Les emplois fondent au soleil de la "numérisation" ? Couver des start-up, former des ingénieurs, qui partiront ailleurs ? Certains pensent que le salut vient de l'agilité... comme si l'agilité en développement de logiciel créait l'agilité en affaires.
Il n'y a pas bien sûr de recette miracle pour négocier un tel bouleversement. Plutôt que d'agilité, incantatoire quand on mesure les multiples pesanteurs de notre contexte, c'est de flexibilité dont on a besoin : l'existant, avec son inertie, ses masses, ses règles, impose aussi son tempo. Le choc frontal que certains appellent de leurs souhaits, peut être encore plus destructeur. Cette flexibilité serait salutaire. Elle se décline sur tous les plans :
- flexibilité du SI,
- flexibilité de l'organisation,
- flexibilité des règles internes,
- et, au final, flexibilité de la réglementation elle-même, ce qui n'est pas une mince affaire.
En ce qui concerne le SI, on trouve sur ce site les concepts de l'Architecture Flexible, qui permettent d'évoluer au travers de tous ces changements, sans rejeter ni les nouveautés, ni le "vieux" patrimoine encore indispensable... Donc de trouver l'optimum entre "je casse tout" et "je garde mes vieux systèmes".
Au delà du SI, à une époque où les "Direction Digitale" poussent comme champignon, cet exemple est emblématique. Saura-t-on trouver de telles voies ?
Un défi de complexité
Le monde actuel est extrêmement complexe. Mais le transformer est d'une complexité d'un autre ordre de magnitude, car c'est s'engager dans une combinatoire infernale.
Certains ont pensé qu'on pouvait décrire a priori une telle aventure. On a vu naître des méthodes d'Architecture d'Entreprise, prétendant transformer non seulement le SI, mais aussi toute l'entreprise dans une vision englobante. Ces outils sont maintenant mal-adaptés, et nuisibles à l'image de la profession des Architectes d'Entreprise, du fait de leur lourdeur et l'anachronisme de leurs bases technologiques. Le pragmatisme, les échanges d'expérience entre pairs, s'avèrent bien plus efficaces que les prérequis et prescriptions méthodologiques (le Club Urba-EA le démontre dans la durée).
Dans le cas de la complexité du SI, elle peut se réduire progressivement par une Architecture Flexible, qui concentre les quelques charnières stratégiques dont l'entreprise a besoin pour traverser les ruptures technologiques et les "disruptions" de business : inutile de cartographier le labyrinthe, si l'architecture permet de s'adapter rapidement aux imprévus.
Pour le reste, pour ce contexte qui semble souvent anarchique, ubuesque, accablant de formules et exigences superfétatoires, que faire ? Il faut s'atteler à sa migration. La complexité actuelle est en grande partie due aux contraintes historiques subies depuis des siècles. Maintenant, dans un monde connecté, tout peut être plus simple, validé en direct, et apporte sa valeur dans l'immédiat.
L'exemple de l'outil socio-technique de notre "modèle social" est particulièrement illustratif : assiettes de calcul décalées de plusieurs exercices, nécessitant acomptes, régularisations, provisions, règles de calculs abscons, multiplication de plafonds... au travers de "régimes" différents, divisant les citoyens.
Le décalage d'informations, la massification des déclarations, la multiplication des cas particuliers sont autant de facteurs de complexification. Pour avoir travaillé sur les premiers "guichets uniques" j'ai touché un peu cette complexité, approché les récifs réglementaires. Et que dire des premières "liasses" tentant de regrouper les multiples cas particuliers sur un document unique, dans le cas des CFE (centre de formalité des entreprises) ? Un casse tête... Et des scandales comme celui que connaissent les indépendants avec les affres du RSI, et le gouffre de ses rapports avec l'URSSAF... Un notariat des rémunérations reste à inventer !
Utiliser le levier du SI
On a l'habitude de parler, avec le vieillissement du patrimoine SI, de "dette technique"... Saura-t-on évaluer la "dette technique" de notre système d'assurance sociale ? Plus généralement, notre société n'est elle pas pénalisée par une immense "dette réglementaire", qui pèse sur son efficacité, et désavantage fatalement son économie et ses emplois ?
Seuls des systèmes "informatiques" peuvent aider à relever un tel défi de maîtrise d'une immense complexité : d'abord parce qu'il faut faire migrer la "couche" SI, mais surtout parce que la migration de tout le système ne peut se faire sans la mise en place d'un SI flexible, un levier qui la soutient, et évite les malheureux "big bang" dévastateurs.
PS Un sujet connexe à ces propos sera abordé lors de la conférence organisée par la CNAV ("Urbanisation du SI, gestion et validation de flux massifs de données : pratiques innovantes", table ronde avec René Mandel, le DSI de la CNAV et la DG du GIP-MDS) Inscription gratuite.